On lit beaucoup d’idioties et d’avis à l’emporte-pièce concernant les ventes et les finances de Games Workshop . Il me semblait donc utile de faire un point sur le sujet et d’avoir des chiffres documentés afin d’être au plus juste sur la question.  Comme toute entreprise cotée en bourse, GW a l’obligation de rendre publiques une série d’informations financières parmi lesquelles son chiffre d’affaire et son bénéfice (avant taxation).

GW plein aux as, mythe ou réalité ?

Commençons donc par le chiffre d’affaire (CA) qui est un excellent indicateur des ventes. Certaines rentrées d’argent ne viennent pas des ventes pures et dures – comme les droits concédés pour un jeu vidéo par exemple – mais on peut raisonnablement considérer le CA d’une entreprise telle que GW comme un excellent indicateur des ventes.  Les rentrées issues d’autres sources que les ventes sont de toutes façons minimes pour GW, quelques pourcents tout au plus.

Notre voyage commence en 1991, à l’aube de la première VF de WHB (v4, sortie en 1992 chez nous).  En ce début des nineties, GW n’est encore qu’une boîte de taille moyenne avec un CA qui va osciller entre 10 et 20 millions de livres sterling pendant trois ans.  En 1994, la société prend un grand coup d’accélérateur (sortie de 40K v2) et le CA va augmenter constamment pendant de nombreuses années.  En 1997, la barre de 60 millions est passée.  En 2002, c’est celle des 100 millions qui est perforée.  Globalement, GW connait une croissance exceptionnelle de 1991 à 2004, année record où la société fera plus de 150 millions de £ de CA.   Entre 2000 et 2004, le CA a pratiquement doublé grâce au lancement de la gamme SdA.   C’est l’âge d’or financier de GW avec trois gammes qui marchent bien (WHB / 40k / SdA) et des ventes mirifiques.  La chute n’en sera que plus lourde.

Dés 2005, la vague SdA montre des signes de faiblesses et le mouvement de repli va se poursuivre en 2006 et 2007 avant de tomber à son plus bas niveau en 2008 avec 110 millions de CA soit prés d’un tiers de CA perdu sur trois ans, çà pique.   C’est aussi l’époque de la nomination de Tom Kirby à la tête de GW puisqu’il s’installe en 2007 au siège de PDG pour « redresser la barre ».

Tom Kirby à l’époque de sa prise de fonction. Suis-je le seul à voir la ressemblance ?

A coup d’augmentations importantes des tarifs et de coupes sombres dans les dépenses (fermeture de boutiques, du siège français, etc), il va garder la barque à flot mais sans réussir à faire remonter les chiffres aux sommets d’autrefois.  Voyons les chiffres :

  • 2009 : 114 Millions
  • 2010 : 127 Millions
  • 2011 : 123 Millions
  • 2012 : 131 Millions
  • 2013 : 135 Millions.

Là, on se dit que c’est pas si mal et que lentement mais sûrement, GW remonte la pente. Et puis arrive 2014… 126 Millions, on rechute à des montants de 2010 alors qu’on a 4 ans d’inflation sur les bras. 2015 sera pire avec 119 Millions.  Et 2016 n’est guère meilleure avec 118 Millions.

On est pratiquement retombé aux plus bas historique sur les quinze dernières années.  Vu l’inflation depuis l’échouage de 2008, 2016 sera clairement la plus mauvaise année de GW depuis son entrée en bourse en 2000.

Si vous avez vu les fig en premier, vous êtes au bon endroit

Regardons maintenant le bénéfice (avant taxation).  En 2004, alors qu’on vendait du Frodon par pack de 12, GW génère près de 20 millions de bénéfices sur 151M de CA.  Soit un ratio de rentabilité de l’ordre 13%.  Après la chute, en 2008, GW ne génère qu’un tout petit million sur 110M de CA soit une rentabilité de moins d’un pourcent. Autant dire rien.

Tandis que Kirby reprend la barre, il va s’efforcer de maintenir les bénéfices malgré la chute du CA.  Et il va y arriver ! 15M de bénef en 2011, 20M en 2012 !  Avec un CA de « seulement » 135M, il sort 20M de bénéfice soit autant qu’en 2004 (hors inflation donc en fait c’est moins mais passons).  2014 sera la douche froide avec 8M de bénéfice du coup Kirby applique à nouveau la même recette : licenciements, fermeture de boutiques, etc.  Et çà marche à nouveau puisque le bénéfice reprend des couleurs en 2015 et 2016 autour de 16M… alors que le CA continue, lui, de baisser.  Heureusement, tout à changé en 2017 et surtout 2018 avec un CA qui s’est envolé.  158M £ en 2017 et 220M£ en 2018. 

On notera surtout que ces excellents chiffres collent pile-poil avec le changement de direction (en 2016) et de nouvelles décisions qui ont pleinement produit leurs effets 12 à 24 mois plus tard.  Le bénéfice a littéralement explosé lui aussi (le double de ce que Kirby obtenait dans ses meilleurs années), preuve si il en est que la méthode Kirby n’était pas le choix le plus heureux  (j’y reviens juste après).  Les chiffres du premier trimestre 2019 restent bons et on peut penser que 2019 sera elle aussi une belle année pour GW.

Les coffres de GW à cette heure…

Que peut-on conclure de tous ces chiffres ?  Premièrement, que Kirby a fait ce pour quoi il a été mandaté : renouer avec les bénéfices plantureux de 2004.  Il y est pratiquement arrivé mais la méthode est très contestable car il a vidé GW d’une bonne partie de sa substance.  Au lieu de relancer la machine pour augmenter le bénéfice en augmentant le CA, Kirby a tout misé sur une réduction des coûts et une augmentation des prix tout en maintenant un CA plus ou moins stable.

Notez qu’il n’est pas le seul, toute une génération de PDG pense de la sorte depuis 20 ans. Alors qu’autrefois il semblait évident que la meilleure manière d’augmenter son bénéfice était d’augmenter ses ventes, ce n’est plus aussi évident aujourd’hui, surtout depuis que nous vivons en permanence en situation de crise économique soit depuis 2008.  Je pense pour ma part que c’est une vision à court terme mais les PDG en sont peut-être conscients.  Après tout, ils peuvent ainsi se faire un plantureux salaire pendant quelques années et ensuite quitter l’entreprise (avec un gros parachute doré) en la laissant vidée de sa substance.  Oui j’aime les PDG et autres top managers, vous l’aurez noté.

En dehors du cas Kirby, ces chiffres en disent également long sur l’histoire de GW au XXIème siècle.  Ils ont fait un « coup » exceptionnel avec la gamme SdA de 2000 à 2005 et ensuite, ils ont été purement et simplement incapables de garder le cap.  La folie SdA est rapidement retombée et la crise économique de 2008 n’a fait qu’aggraver la situation.  GW tourne sur trois core games depuis 15 ans.  La gamme SdA est en gériatrie depuis 2006 et est de fait morte depuis plusieurs années. GW se refuse simplement à procéder aux obsèques.  Ils ont bien tenté de ranimer le patient à grand coups de (ho) bittes (pardon, il fallait que je la fasse) mais sans grand succès.    

WHB a connu de beaux jours jusqu’en 2008 et ce fut ensuite un lent et inexorable déclin. Curieusement, GW a procédé plus promptement aux funérailles.  Je suppose que deux cadavres, çà commençait à faire de trop.  Reste 40k, moteur de la société depuis prés de 10 ans.  Mais combien de temps tiendra-t-il encore ? De nombreux indices laissent à penser qu’il s’essouffle lui aussi malgré une V8 qui a relancé la machine pour 3-4 ans au moins.

Où en est GW aujourd’hui ?  SdA est un mort-vivant, AoS a vécu des débuts horriblement difficiles mais c’est depuis lors bien relançé et tourne aujourd’hui très bien. 40k a connu un vrai revival avec la v8. Les « petits » jeux rencontrent pour la plupart un certain succès. Bref, tous les feux semblent au vert pour GW à l’exception du boulet SdA.  

Evolution de la gamme SdA sur les quatorze dernières années

Et si l’avenir s’annonce plutôt bon, c’est parce que GW s’est réinventé.  La démarche est entamée depuis quatre ans et se poursuit.  La nouvelle tendance, depuis le retrait (partiel) de Kirby en 2016 et la nomination de Roundtree comme PDG, semble être un retour aux fondamentaux assorti d’une – relative – modération dans la politique tarifaire.

  • Sorties de nombreux jeux de plateau sur les années 2016-17-18.  Et les annonces pour la suite n’arrêtent pas de tomber.
  • Revival des anciennes licences : Warhammer Quest, Bloodbowl, Epic, Necromunda, etc.
  • Retour du White Dwarf « à l’ancienne »
  • Sortie des boîtes « Start Collecting » soit généralement plus de 100€ de gurines pour un prix de +/-70€.
  • En juin 2016 et 2017, il n’y a pas eu d’augmentation tarifaire globale alors que c’était devenu une habitude sous Kirby (pour maintenir le bénéfice, vous suivez oui ou merde ?).

C’est un bon début mais il en faudra sans doute plus pour maintenir l’entreprise à long terme. Age of Sigmar a connu des débuts difficiles chez nous et c’est un euphémisme.  Il se porte heureusement aujourd’hui bien mieux et a retrouvé sa place de core game.  De même que 40k que la v8 a relançé de belle manière.  Reste Bilbo qui agonise depuis tellement longtemps qu’on se demande pourquoi GW ne l’achève pas.  Trop de stock d’invendus à écouler ou un contrat à durée fixe selon moi…

En parallèle, les « petits » jeux ont fleuri par pack de dix.  Et certains sont vraiment bons (Kill team, Underworlds).  On peut s’attendre à ce que GW continue sur cette lancée et nous inonde chaque année de nouveaux « petits » jeux qui vivront ce que vivent les fleurs (enfin des fleurs qui tiennent un an ou deux quand même).  La qualité est certes variable mais dans le lot, il y a quelques belles aventures ludiques et parfois pour pas trop cher (Underworld est le meilleur exemple).

Une autre option serait pour GW d’enterrer une fois pour toutes ce putain de hobbit mort-vivant pour lancer un nouveau core game.  L’idée n’est pas à exclure mais sans une licence outrageusement porteuse, je ne vois pas trop quel jeu pourrait s’imposer.  Il est dommage que FFG ait plombé la licence Star Wars avec son Star Wars Legion (qui a fait un petit bide en attendant de peut-être se relancer avec la guerre des clones) car GW aurait certainement mieux traité la licence.  Même si je vois mal GW payer une grosse licence après ses déboires avec le semi-homme. 

Ne reste donc que les licences ou créations internes mais quand on a déjà un univers futuriste et un univers fantasy, il ne reste pas grand chose.  Du steampunk ?  Pas assez universel.  Du moderne ou de l’historique ?  Peu crédible.  Alors quoi ? Les paris sont ouverts.

Mangez des carottes !

Sources :

Financial Report Games Workshop (ici celui de 2015-16 mais il y en a un comme çà pour chaque année)

Pour les années plus anciennes, on en trouve des copies sur divers sites financiers comme cet exemple de 2004-05