L’idée d’aller embêter Sieur Sébastien Lavigne est venu cet été suite à un « débat » au sein de l’équipe de Geek LvL60 où on s’est aperçu que beaucoup de monde n’associaient pas forcément son nom à ses nombreuses œuvres.
Alors, dit nous Sébastien, à quoi cela est dû ?

Salut ! C’est assez normal puisque je suis quelqu’un de plutôt discret et cela fait relativement peu de temps que je travaille dans l’industrie de la figurine. Cinq années, c’est tout jeune par rapport à plein d’autres peintres qui sont bien connus du grand public depuis l’époque de Rackham (qui, avec les concours du Golden Demon, avait permis de mettre sous les projecteurs pleins de peintres français talentueux).

De plus, je ne fais pas vraiment la promotion de mon nom, car n’y ai pas spécialement d’intérêt. La notoriété pour la notoriété ne m’intéresse pas : je n’ai rien à vendre aux gens. Je n’accepte pas de commandes de peinture pour les particuliers, je n’organise pas de stages, je ne suis pas sur Patreon, etc. Par contre, les professionnels du secteur me connaissent et c’est tout ce qui compte pour m’assurer du travail.

Une conséquence rigolote de ce relatif manque de notoriété combinée avec le nombre (assez conséquent maintenant) de gammes de figurines sur lesquels j’ai eu l’occasion de travailler : beaucoup de gens ont l’impression que j’ai toujours été là ! On lit mon nom sans y faire vraiment attention et ça finit par s’imprimer de façon presque subliminale. Je fais partie des meubles quoi !

Oui c’est tout à fait vrai. Je n’ai pas réussi à mettre le doigt sur la première peinture que j’aurais aperçue et où je me serais dit « tiens, c’est du Sébastien Lavigne ». Moi aussi j’en ai déduit que tu as toujours été là. Cinq ans seulement?

Oui. Ça fait plus de 25 ans que je peins des figurines, mais seulement cinq en tant que professionnel. Depuis février 2014 pour être précis. Et si je ne dis pas de bêtise, la première figurine studio que j’ai peint qui ait été montrée c’était le Puppet Master pour Éden (la toute première c’était une brute orque pour Drakerys, mais elle n’a été montrée que plus tard).

Du coup avant cela, tu peignais pour le plaisir, pour le jeu ou pour le challenge. On ne t’a jamais vu sur des podiums ?

Un peu de tout cela, cela dépend des moments. J’ai toujours peint essentiellement pour le jeu, mais cela a toujours été par plaisir plutôt que par contrainte. Et j’ai toujours passé pas mal de temps sur la peinture de chaque pièce. Particulièrement a la période où j’ai découvert les figurines peintes par les artistes du studio Rackham. Elles m’ont vraiment donné envie de franchir un cap.

De plus j’étais franchement serré côté finances à l’époque, alors quand je m’offrais une figurine qui me plaisait il fallait que la peinture soit à la hauteur ! C’est comme ça que j’ai commencé une période d’obsession, à recommencer quatre ou cinq fois depuis le départ chaque modèle jusqu’à ce que je sois satisfait du résultat. Du coup ça m’a amené vers les concours de peinture « pour voir » et j’ai bien quelques (deux en fait) statuettes de démons en résine qui prennent la poussière chez moi. Mais on ne peut pas dire que je chasse particulièrement le trophée, ça ne m’intéresse pas plus que ça. En fait il faut que ça soit un prétexte pour faire un truc entre potes pour me motiver.

A quel moment tu t’es dit  » je vais devenir professionnel » ?

Je venais de passer 5 ans à bosser dans la chaîne de boutiques de Games Workshop, d’où j’ai fini par me faire licencier. Je me suis retrouvé au chômage, sans idée précise de ce vers quoi me diriger.

Comme j’avais bien envie de continuer dans le milieu du jeu, j’ai commencé à réfléchir à la possibilité d’ouvrir une boutique. Après avoir sérieusement étudié la question et fait mes calculs, une chose en est ressorti: faire tourner une boutique c’est vraiment difficile! Entre les loyers, les taxes, le coût du stock, les marges assez faibles, etc… les objectifs de chiffre d’affaire à atteindre pour rendre le truc viable sont très élevés.

Au moment où je commençais vraiment à me décourager, je suis allé rendre visite à mon ami Vincent de Uchronies Games. C’est dans sa boutique que j’ai eu une conversation passionnante avec Guillaume, le patron de Victoria Games (qui assure entre autre la distribution de Warmachine en France). Il me racontait qu’il possédait chez lui des armoires remplies de figurines et qu’il, comme beaucoup de gens, ne trouvait jamais de temps pour peindre. Il aurait été ravi de payer quelqu’un qui pourrait s’en occuper à sa place, mais ne trouvait pas de proposition vraiment sérieuse pour le faire.

Après y avoir réfléchi, il m’est apparu qu’il y avait probablement moyen d’en faire une activité rentable tout en prenant infiniment moins de risques financiers que pour ouvrir une boutique. Donc j’ai commencé à prendre des commandes de peinture d’armées. Et là tout s’est très vite accéléré.

Quelques mois plus tard je suis tombé sur Mohand de Taban Miniatures dans une boutique de jeu. Cela faisait longtemps qu’on se connaissait et, quand je lui ai dit que j’avais monté mon petit service de peinture, il m’a tout de suite dit qu’il était intéressé. Donc j’ai commencé à travailler sur la gamme Eden et sur la préparation du Kickstarter de Drakerys.

Très rapidement après j’ai été contacté par Alexandre Rossini (Jinn), qui faisait des peintures studio pour Eden et pour le jeu Bushido. Il m’a expliqué que, pour des raisons personnelles, il devait ralentir son activité de peinture et me proposait de reprendre la peinture de la gamme Bushido. Il m’a donc mis en contact avec Toby Nathan de GCT Studios, qui a été ravi de pouvoir travailler avec quelqu’un dont la peinture était l’activité à temps plein.

Seulement quelques mois plus tard, Toby est allé manger dans un restaurant avec Matt Hart, qui venait de créer Steamforged Games et de financer Guild Ball, son premier jeu, sur Kickstarter. Matt avait complètement flashé sur les peintures que j’avais faite pour Bushido et voulait absolument que Toby lui donne mes coordonnées. Voilà, j’était lancé! Au final si je suis là aujourd’hui, c’est presque par hasard!

Et durant ces débuts, est-ce qu’il y a eu un projet, une figurine, dont tu es particulièrement fier et où tu t’es dit « ça y est, je suis chez les pros  » ?

Oui, la gamme Guild Ball justement. C’était très excitant de commencer à travailler sur une gamme sur laquelle personne n’avait jamais rien fait avant. Du coup, quand j’ai attaqué la première figurine, j’ai eu plein de questions à me poser non seulement sur ce personnage-là, mais aussi sur la direction que je voulais donner à toute la gamme !

Tu dis que Matthew Hart avait flashé sur ta peinture. C’est vrai que tu possèdes un coup de pinceau très reconnaissable, très lumineux. Comment tu définirais ta peinture ?

J’ai un style assez classique je pense. En fait je ne fais pas vraiment différemment de la méthode professée par Games Workshop dans White Dwarf! Couleur de base, lavis et éclaircissement. Après, j’ai eu plein d’autres influences et si je devais vraiment me trouver une particularité, ça serait ma façon de gérer les éclaircissements en « halo ». En fait je fais comme à l’aérographe, mais au pinceau…

Tu as parlé des différentes gammes sur lesquelles tu as travaillé mais depuis quelque temps maintenant tu travailles pour un éditeur spécifique. Quel est ton statut désormais ?

Depuis septembre 2018 je suis salarié à temps complet chez Mythic Games. Du coup je ne travaille plus tout seul chez moi, mais je prends le métro tous les matins pour aller au bureau avec mes collègues. Concrètement, je fais presque exactement la même chose que quand j’étais freelance, mais dans les faits c’est un changement de vie assez radical.

Ça t’apporte une stabilité et une tranquillité d’esprit j’imagine?

Cela dépend à quel niveau. Évidemment, un CDI est un statut beaucoup plus stable : j’ai mon salaire qui tombe tous les mois, j’ai des congés payés, le chômage, etc.

Là où je trouve vraiment du confort, c’est dans la gestion de mon planning : je travaille sur une seule chose à la fois. Les priorités peuvent quand même changer du jour au lendemain, mais pour avoir connu des périodes pré Salute ou Gencon où je travaillais pour jusqu’à huit éditeurs en même temps, à côté, Mythic Games c’est les vacances ! Évidemment il y a souvent des coups de bourre et on n’a jamais autant de temps que ce qu’on voudrait, comme dans la majorité des stars-up j’imagine.

Mythic Games a cette particularité d’être sur tous les fronts. Du 15 mm teinté historique avec Joan of Arc, de la pure Fantasy américaine avec Solomon Kane, de l’uchronie WWII avec Reichbuster… Du coup l’année passée tu as peint des trucs très différents. C’est admirable car tu le fais à « résultat constant ». Il n’y a jamais de sculpture qui t’inspire moins ?

Oui et c’est cette variété de sujets qui m’a vraiment motivé à rejoindre Mythic Games. Changer de style régulièrement c’est une garantie de ne jamais s’ennuyer ou de tourner en rond en s’enfermant dans un style.

Et merci beaucoup pour le compliment, mais je pense que, malgré tout, certaines sont moins réussies que d’autres. Parfois parce que le sujet m’inspire moins, souvent parce que je manque de temps et qu’il faut rusher pour finir dans les temps.

Et en ce moment tu bosses sur quoi?

À l’heure où j’écris ces lignes (Ndr: juillet 2019) c’est encore confidentiel, mais ça concerne la prochaine extension de Joan of Arc. Sinon j’avance sur Hel, The Last Saga et je dois terminer tout ce que j’ai à finir pour préparer les sorties boutiques de Joan of Arc et Super Fantasy Brawl. Parallèlement à mon travail chez Mythic Games, j’ai aussi fini par céder aux demandes répétées des gars de Goblin King Games pour continuer les box-arts pour le jeu Moonstone. Pas le temps de s’ennuyer quoi !

Quel agenda ! Je voudrais terminer, comme un hommage, par un chancélisme: «Vous n’avez jamais joué, même avec vous-même ?»

Ah ben zut, je ne connaissais pas Jacques Chancel! Du coup je viens de m’écouter l’interview de Renaud de 82

Si, bien évidemment. La peinture de figurine a toujours été liée aux jeux pour moi, même si je suis dans les faits, plus un peintre qu’un joueur. Si je manque cruellement de temps pour pouvoir jouer autant que je le voudrais, j’aime l’idée que les figurines que je mets en couleur et que je collectionne peux être utilisé sur une table ou un plateau, plutôt que de simplement prendre la poussière sur une étagère.

En ce moment je joue surtout à Warhammer Âge of Sigmar, Warhammer Underworld et HATE. Chez moi je suis en train de finir l’assemblage d’un Battle Group pour Adeptus Titanicus et Warcry me fait carrément de l’oeil! Je suis également très tenté par la peinture d’une armée pour ASong Of Ice And Fire, même si je ne vois absolument pas comment faire rentrer ce projet dans mon planning.

Pour ce qui est de jouer avec soi, je pense que c’est une bonne façon de définir mes choix de vie. Comme beaucoup de ceux qui choisissent de vivre de leur passion finalement! Je ne suis pas du genre à avoir un plan B et j’aurais plutôt tendance à mettre le feu au navire quand je débarque sur une plage…

Pour terminer, qui verrais-tu à ta place pour la prochaine interview sur
Geek Lvl 60 ?

J’ais envie de proposer l’illustrateur italien Paolo Parente. Le personnage a l’air truculent et haut en couleur, en plus d’être intimement lié à l’industrie de la figurine. Ou le sculpteur/peintre/joueur Rémy Tremblay, que j’admire énormément tant il est l’exemple pour moi du hobbyste accompli.

Merci beaucoup a Sébastien pour cette interview et pour ma part, je vous souhaite une très Bonne Année et à l’année prochaine !